Un artiste, dont on pourrait dire qu’il est digne, est souvent une personne qui proteste contre l’état actuel des choses et qui essaye d’imaginer un avenir.

L’histoire de l’art est pleine de grands artistes qui ont sacrifié leur vie et leur âme pour leur art. Certain tentent de briser le carcan politique de leur pays pour s’exprimer au-delà de leur territoire, essayant de rester eux-mêmes dans le chemin vers la démocratie. Grâce à leur art, ils peuvent entrer en communication avec d’autres sociétés et d’autres nations, pour essayer de vivre aussi une forme de liberté créatrice, et en paix.

L’art est certainement l’un des moyens les plus efficaces pour affirmer une identité et la préserver, c’est pourquoi les artistes dignes, c’est-à-dire qui veulent obtenir la liberté d’expression et l’égalité sociale pour toutes et tous, sont souvent méprisés et persécutés sous les dictatures, voire menacés de mort ou exécutés !

Sous l’emprise d’un gouvernement tyrannique, la majorité du peuple vit sans pouvoir agir ou réagir. Certains individus essayent pourtant de lutter pour dénoncer les ruses et les tromperies des gouvernements dictatoriaux qui essayent d’imposer une identité politique à leur peuple, afin de permettre aux autres de comprendre qu’ils sont abusés.

En cette période contemporaine, le peintre islamique ne dessine un oiseau, mais une femme nue. L’artiste ne s’oppose pas aveuglément aux textes religieux. Il les interprète avec intelligence, et le sculpteur n’essaie pas seulement de faire un visage, mais aussi d’y placer des secrets et des messages et de dépeindre des gens ordinaires !

Toutes les luttes sont respectables, mais nous allons voir que cette forme de lutte n’est peut-être pas la bonne. Car pourquoi une personne qui est artiste de métier et qui n’a pas de sécurité matérielle devrait risquer sa vie et se mettre en danger ? N’y a-t-il pas d’autres moyens de se battre ?

Exercer simplement son art dans toute sa complexité et sa diversité ne suffirait-il pas, au fil du temps, à permettre de dénoncer l’écrasement d’un peuple par un régime autoritaire et une idéologie totalitaire ?

À titre d’exemple, abordons le travail d’un artiste palestinien qui a combattu et qui a été obligé de s’exiler car il a refusé de se soumettre à une identité politique islamique.

Cet homme souhaite remettre en question les interdits qui empêchent la liberté artistique, afin de dénoncer devant la communauté internationale le « groupe » qui dirige le peuple et dont le but est de détruire les familles, nier la liberté des femmes et des enfants… et grâce à son art, jouer un rôle dans la mondialisation des idées et des expressions.

Selon Lester Thurow, nous sommes à un tournant de la mondialisation en matière d’économie, des communications, de croissance des entreprises multinationales, d’impact du monde économique sur les marchés financiers, de réchauffement climatique et de prises de positions internationales concernant les droits de l’homme.

Thurow est persuadé que ces facteurs ont mis en avant la notion de société mondiale.

L’homme se rend compte que les contraintes dues aux frontières diminuent chaque jour, et le monde devient un lieu unique, ouvert à tous.

Dans ce monde ouvert, on peut constater que l’impact de l’art, son rôle dans la mondialisation n’est pas négligeable. Notre question est alors de se demander si le travail d’un artiste, quels que soient ce travail et sa forme, peuvent servir de fondement ou être une avancée dans ce mouvement vers la mondialisation ?

Ou alors est-il possible qu’au contraire certains partis politiques réfractaires prennent le dessus et déclenchent une guerre ethnique, nationale, pour diriger le peuple vers le séparatisme ?

Chercher la réponse à ces questions est une quête quotidienne. La conscience d’un artiste lui permet de s’interroger sans cesse sur la nature de son identité, sur l’espace qu’il devrait occuper, sur son identité politique et sur son humanité.

La réponse à la première question (qui suis-je au fond et où est ma place ?) est donnée par Charles Taylor. Pour lui la vie est un mouvement qui suit une direction. Pour savoir qui nous sommes, nous devons analyser la direction que nous suivons.

Comment un artiste peut-il contextualiser la mondialisation, et envisager la possibilité de coexister, et de pratiquer des échanges culturels ?

Sulian Stallabrass dit que la mondialisation n’est pas juste un mouvement d’homogénéisation culturelle, ou un équivalent de ce qui se passe en Occident. C’est un mouvement qui suit deux parallèles, et qui alimente des différences de plus en plus fortes. Ce sont ces différences qui mettent en avant la question de l’identité dans le processus de mondialisation.

Dans leur livre, Abdi et Goodarzi suivent la même logique : dès qu’il s’agit d’identité, chaque groupe humain devient inquiet, et comme chacun voit le monde différemment, ils évaluent les choses avec différents critères, avec des aspirations différentes, et de façon générale, ils préfèrent chacun leur propre mode de vie.

Le devoir d’un artiste qui veut participer à la mondialisation est de signaler ses désirs, ses fondamentaux et son inspiration. De plus, pour qu’un artiste se retrouve actif dans un contexte mondialisé, il faut qu’il soit conscient de plusieurs points liés à son identité politique. Benedict Anderson dit : « en politique il s‘agit de tuer ou d’être tué ».

L’être humain a conscience que pour survivre, il doit avoir du pouvoir. Car en politique, ce qui représentait l’identité d’un individu est devenu l’identité du groupe. L’identité individuelle est devenue l’identité collective. C’est pourquoi si quelqu’un manque de respect à une seule personne, c’est comme s’il manquait de respect à tout le groupe. De cela va naître l’identité politique commune qui permettra aux gens de se mobiliser ensemble.

Aujourd’hui, les sciences politiques considèrent que la question de la sécurité publique est liée à l’identité et à sa préservation au sein de la société. Alors, si une nation sent que son identité est menacée par une personne en particulier, ou un artiste, ou par un gouvernement ou une autre nation, elle réagira de façon instinctive et utilisera un mécanisme de défense.

Cependant, si un artiste veut protester contre une règle sociale pour atteindre un statut qui lui a été promis, ainsi qu’aux membres de son groupe, il doit avoir une influence très forte pour mettre en lumière et dénoncer auprès de ses contemporains les manques politiques de la société dans laquelle il fonctionne (comme cela a été possible pour les artistes de la Renaissance). Il peut ainsi remettre en question les gouvernements à l’idéologie identitaire qui tourne les sociétés contre elles-mêmes, comme la démontré le cours de l’Histoire.

Penchons-nous maintenant sur l’œuvre de Duaa Qishta pour savoir comment elle s’est incluse dans ce mouvement de mondialisation à travers ses créations et leur esthétique : forme, contenu, intégrité, cohérence, couleurs, composition… Tout ce qui fait œuvre d’art.

Dans le tableau en question, on peut voir une jeune femme voilée qui est en train de faire du vélo. Le vélo a une roue en l’air. Le visage de la jeune femme est couvert et elle a le Coran à la main. De son sac tombé par terre, se sont échappé du parfum, des gants, des produits cosmétiques. Elle porte une paire de chaussures rouges à hauts talons.

Le sens de ce tableau est très clair : c’est un tableau qui évoque la mémoire des soldats palestiniens anonymes qui ont combattu et ont été tués pour la reconnaissance et la préservation de leur identité.

 

Le monde d’aujourd’hui est donné à l’arrière-plan cette avec des photos de bâtiments et des voitures modernes. En conséquence, on peut identifier dans ce tableau des éléments importants comme la temporalité, l’espace et le sujet. Mais quelle est le message de cette œuvre d’art ? Que cherche-telle à dénoncer ?

Cette roue en l’air n’est-elle pas semblable à une plainte pour dénoncer les inégalités ? Le tableau ne représente-t-il pas l’immense force des femmes pour lutter contre l’injustice ?

La tête tournée et la main qui tient le Coran ne dénoncent-elles pas les lois religieuses antiféministes d’hier et d’aujourd’hui ?

Cette œuvre d’art exprime le fardeau de l’idéologie que subit chaque femme voilée mais qui veut se battre malgré tout, malgré ses chaussures de fête, même si elle est obligée de renoncer à tous ses biens, à ses produits de beauté tombés au sol et à son charme.

Cette œuvre n’offense aucune personne, aucun groupe, aucune identité politique, aucun territoire. Elle montre l’ambition politique des filles, des femmes qui appartiennent à une terre et qui exigent du monde du droit fondamental de disposer d’elles-mêmes, d’être libres ! Mais il n’y a pas d’égalité !

Ce tableau est un appel à la démocratie. Cette protestation vient d’un esprit ouvert qui n’offense personne. Ce sont les revendications de toutes les femmes des pays islamiques, une histoire sombre qui a détruit tous les rêves des enfants et des filles qui aujourd’hui grandissent. Ici, ce n’est pas un marché de dupes, mais c’est un champ de bataille.

Ce tableau permet à tous ceux qui ne connaissent pas les enfants, les jeunes, les filles et les femmes palestiniens de comprendre leurs souhaits et leurs désirs à l’ombre de la guerre.

Dans une de ses œuvres, Frida Kahlo met elle en valeur par sa peinture ses rêves, ses cauchemars d’une autre société. Ce tableau porte un message philosophique : « l’homme peut vivre toute sa vie en combattant des envahisseurs, mais il ne pourra jamais accepter qu’on le méprise, qu’on ne lui laisse pas sa liberté individuelle, que son identité soit volée à cause de la politique. »

Pour finir, posons la question de savoir si la raison du déclin de styles artistiques passés est lié au changement d’identité politique d’une société, parce qu’une nation ne suit pas une identité politique classique ou que ce déclin commence à la fin de la période romantique ?

Si tel est le cas, n’est-il pas préférable pour l’artiste de se consacrer à trouver son identité politique, plutôt que de chercher d’abord à trouver son style et son espace artistique, dans le but de participer à la mise en œuvre de la démocratie au cœur de la société, et de bien préparer le terrain de la mondialisation ?

Hossein Hajizadeh Siboni